Nous sommes arrivés dans un jardin en friche. Les quelques briques rouges visibles indiquaient qu’une maison se trouvait derrière les herbes hautes et la vigne vierge. En ouvrant difficilement la porte qui raclait le sol, l’agent immobilier qui nous précédait a manqué de tomber en glissant sur un morceau de pain.
Le corridor est sinistre, il y a une odeur de tabac froid et les murs sont sales. Le couloir donne sur deux chambres aux volets fermés. Le carrelage en damier noir et blanc est bien l’unique élément qui aguiche l’œil.
En montant un escalier qui craque, on tombe sur des portes et l’une d’elles donne sur le salon, qui est du même ton que l’étage inférieur. Le canapé a l’air extrêmement mou, et on peut l’imaginer comme un refuge de petites bêtes rampantes. Il y a des aliments dans les plis du dossier. Au sol et sur la table basse, des journaux plus très à jour, des cigarettes recroquevillées, des verres plus très transparents. Par la fenêtre de l’étage, on peut voir le jardin arrière, en abandon lui aussi. En m’y aventurant, je constate que les herbes font la taille d’un enfant de 12 ans, parmi lesquelles on trouve éparpillés des morceaux d’acier rouillés, des planches de bois. L’agent immobilier parlait des moulages entassés dans la cabane du fond comme appartenant à une sculptrice, la femme décédée du propriétaire.
La suite de la visite ne débouche sur rien d’autre qu’une impression d’être entré dans un cerveau triste. L’étage contient beaucoup de cloisons pour un espace en réalité pas si grand, faisant de chaque pièce un endroit duquel on veut vite s’échapper.
Finalement, nous sommes entrés dans la maison quelques semaines plus tard. A peine le camion de déménagement, transportant meubles branlants et vieux bibelots avait-il disparu que le travail de restauration avait commencé dans les esprits.
Les éléments qui restaient dans la maison, les murs, les sols, les revêtements, les radiateurs mêmes, avaient été les témoins d’une vie qui n’était pas la nôtre, de scènes auxquelles nous n’avions pas assisté et je me rappelle l’avoir pensé très fort lorsque j’ai vu ce balai oublié, gisant sur le carrelage en damier.
Les murs ternes de l’entrée furent peints d’un vert pomme qui semblait être un vert anis sur l’échantillon de couleurs. C’est le temps qui fera oublier cette erreur de jugement.
Le mobilier chancelant de l’ancien propriétaire fut remplacé par du bois stable de teintes diverses. Beaucoup de cloisons ont été abattues et je me rendais compte qu’il est bien plus simple d’amener de la lumière lorsqu’on on est munis d’une masse plutôt qu’armé de mille ampoules. Au sol, le parquet s’était un peu oublié, un peu de cirage lui fit revivre ses plus belles années. Le jardin également a été débarrassé des mauvaises herbes, et la table en mosaïque plantée au fond n’aura jamais eu vue aussi claire sur l’arrière de la maison.
La maison aujourd’hui est presque entièrement dévêtue de vigne vierge. Le bois de l’escalier craque plus fort qu’avant. Malgré cela, il n’inquiète plus, il donne du cachet, selon les mots de l’agent immobilier. La porte d’entrée racle toujours le sol et il ne fait aucun doute que les futurs visiteurs sauront trouver cela charmant.