Hugo SABY

37 rue d'Ermont

Lavabo sur meuble étagère
34 x 13 x 17 cm

Robinetterie de baignoire
15 x 12 x 8 cm

Sculpture et vase
29 x 14 x 17,5 cm

Poignée de vélux
12 x 7 x 8 cm

Meuble à tiroirs, briques et planche de bois
23 x 25 x 17 cm

 

Troisième tiroir en partant du bas
27 x 8 x 16 cm

Pupitre jaune
26 x 30 x 6 cm

Morceau  de quartz
13 x 12 x 11 cm

Radiateur
17 x 15 x 6,5 cm

Micro-ondes sur réfrigérateur
13 x 15 x 18 cm

Balai posé contre le mur
14 x 12 x 21,5 cm

Pot de fleur sur tablette de bois fixée à un muret en béton
26 x 17 x 10 cm

La chambre est bien endormie. Il y a des habits allongés au sol, des livres assis sur une chaise. Une chaussette pend d’un tiroir.
Chaque élément dans la pièce semble n’avoir pas été prévenu du réveil de l’un d’eux, excepté le mince filet d’eau qui s’échappe du robinet de la baignoire.
D’un petit filet, il se sépare en gouttes. Puis comme prise en flagrant délit, l’une d’entre elles stoppe sa course, et s’accroche au tuyau de métal en retenant les suivantes.
Par la fenêtre de toit une femme sort du flou, de l’autre côté de la ruelle. Elle a les yeux clos dans son fauteuil, la nuque à peine en arrière.
Mon regard a dû la toucher un peu, car voilà qu’elle ouvre le sien, et dans le même mouvement redresse son corps vers moi.

A peine avais-je fermé les yeux que je me réveillai dans une autre pièce. Elle est remplie de pots et d’appareils ménagers qui ronronnent. En me retournant, je vois les convives attablés, absorbés dans leur conversation.
Je commence à en comprendre l’enjeu quand j’entends les protestations fuser.
Ils discutent de choses importantes me semble-t-il, mais personne ne s’écoute réellement parler. Le débat porte sur divers objets, chaque personne présente s’obstine à en défendre un.
Les formes sont soigneusement dépeintes, leurs fonctions décortiquées. La passion avec laquelle ils décrivent leur fétiche amène un peu d’animosité autour de la table.
Progressivement les ardeurs s’émoussent et les phrases échangées perdent en volume. Les voix deviennent basses, et bientôt ça chuchote. Voilà qu’ensuite, tous se lèvent et se dispersent dans le salon sans plus parler. Les têtes se tournent en même temps dans une direction : la mienne.
Pétrifié par tant d’attention, je croise le regard d’une femme, elle a les joues creusées. J’ai cru mal voir quand son corps s’est décharné tout entier, quand les os se sont changés en fonte et qu’ils se sont rangés parallèles, le long du mur.
Il y a un homme avec les joues que le vin rouge avait transpercées, lui donnant un teint rosé satiné. A l’instant même où j’enfonçais mon regard dans le sien, il se figea, les yeux écarquillés. Son corps entier disparut d’un coup, à l’exception de sa tête qui, changée en pierre, tomba au sol avec la même couleur qu’à l’instant d’avant.
Chacun leur tour, ils quittaient leurs corps organiques. Dès lors que leurs yeux croisaient les miens leurs corps se muaient en choses qu’ils avaient ardemment défendues. Ils se disloquaient, se décomposaient et pourtant je n’ai pas ressenti de dégoût, ni de peine.
Il y a même cette dame d’un certain âge qui est devenue argile cuite, et dont les cheveux se sont changés en terreau. Dans un dernier souffle, elle a laissé échapper un minuscule papyrus avec une tige fanée.
Après quoi ils me fixaient tous, sans yeux.

Je me réveille en sursaut dans la chambre que j’avais quittée. La femme de l’autre côté de la ruelle a les yeux clos, le robinet de la baignoire est grand ouvert.
Aujourd’hui encore je ne m’explique pas bien pourquoi l’homme au teint rosé satiné cherchait à défendre corps et âme, un petit morceau de quartz.

HUGO SABY